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La circulaire administrative : indispensable à l’action publique, mais source juridique secondaire et limitée

Instrument familier de l’administration, la circulaire est omniprésente dans la pratique administrative belge. Elle cristallise pourtant de nombreuses confusions sur sa nature juridique, sa valeur normative et ses effets. Est-elle contraignante ? Peut-elle créer du droit ? Quels sont ses effets sur les administrés et sur l’administration elle-même ?

L’étude des circulaires permet de mieux comprendre la frontière entre le droit dur (règlementaire ou législatif) et le droit souple (soft law). Elle révèle également les tensions qui traversent l’État de droit lorsqu’une autorité administrative, par souci d'efficacité, dépasse le rôle explicatif de la circulaire pour empiéter sur le pouvoir normatif.

I. Une utilité administrative indéniable

La circulaire administrative – parfois nommée instruction, note de service ou dépêche – est avant tout un outil de mise en œuvre du droit. Elle vise à expliquer le droit existant aux agents d’exécution, dans un objectif de cohérence et d’harmonisation des pratiques (v. not. P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, n° 573).

La circulaire explicative a donc pour fonction de commenter le droit applicable, de signaler des évolutions législatives ou jurisprudentielles (v. Circulaire du 13 décembre 2013 sur le regroupement familial, suite à l’arrêt n° 121/2013 de la Cour constitutionnelle), ou encore de préciser les modalités d’application d’une norme à une situation concrète (circulaire du 8 janvier 2021 sur l’établissement des listes de jurés).

La Cour constitutionnelle a reconnu que la circulaire peut être utile pour éclairer le sens d’une norme législative (C. const., 21 décembre 2004, n° 203/2004, B.19), sans pour autant lui accorder une quelconque valeur contraignante à l’égard des tiers.

La circulaire peut également servir à organiser le fonctionnement interne de l’administration. Elle est alors l’expression du pouvoir hiérarchique, traduisant la manière dont les supérieurs entendent que leurs subordonnés appliquent les politiques publiques (C. const., 18 juillet 2013, n° 106/2013, B.4.7).

Pour les agents, la circulaire est obligatoire : l’obéissance aux instructions hiérarchiques relève du devoir statutaire, sous peine de sanctions disciplinaires (Cass., 10 juillet 1953, Pas., I, p. 923). Cette obligation interne ne signifie toutefois pas qu’elle puisse créer des droits ou obligations à l’égard des administrés.

II. Une portée juridique limitée à l’interne

Le principe fondamental est que la circulaire ne lie pas les tiers. Elle n’est pas une source de droit contraignante, car elle ne résulte ni d’une loi, ni d’un règlement édicté selon les formes requises. Elle ne peut en aucun cas imposer une obligation nouvelle qui ne trouve pas son fondement dans une norme supérieure (C. const., 18 juillet 2013, préc. ; C.E., 10 juin 2020, Bvba White Lotus, n° 247.759).

Même lorsqu’elle est publiée au Moniteur belge, ce qui est parfois le cas pour des raisons de transparence (circulaire Marchés publics du 18 février 2011), la circulaire ne devient pas pour autant une norme ayant force obligatoire à l’égard des administrés.

Lorsqu’une circulaire ajoute au droit, elle risque de devenir un règlement illégal. Elle ne peut en aucun cas se substituer à la loi lorsque celle-ci est exigée, ni combler une lacune du droit de manière impérative. L’administration n’est pas autorisée à exercer un pouvoir réglementaire déguisé par le biais de circulaires, sauf si elle détient cette compétence et respecte les formalités requises (Cass., 4 octobre 2012, C.11.0620.F ; C.E., 11 mars 1998, Ville de Huy, n° 72.369).

Le professeur Goffaux dénonce ces dérives en qualifiant les circulaires de ce type de véritables « normes pirates » (Dictionnaire de droit administratif, p. 182).

III. Le paradoxe de la force indirecte : circulaires et pouvoir discrétionnaire

La circulaire, lorsqu’elle oriente l’exercice du pouvoir discrétionnaire, joue le rôle d’une directive administrative. Elle indique les critères que l’administration entend appliquer de manière générale, mais ne lie pas l’administration dans chaque cas individuel.

L’administration conserve l’obligation de motiver ses décisions et d’examiner chaque situation au cas par cas. L’application automatique d’une circulaire constituerait un excès de pouvoir, en vidant de sa substance le pouvoir discrétionnaire (C.E., 19 janvier 2000, Adam, n° 84.769 ; jurisprudence Beheyt).

La frontière est ténue entre interprétation du droit existant et création de normes nouvelles. Il arrive que des circulaires aillent au-delà de leur fonction explicative pour fixer des règles de conduite générales, notamment en matière de tutelle administrative ou de gestion budgétaire (v. circulaire n° 659 du 10 juillet 2017).

L’administration, dans ce cas, s’auto-limite en s’engageant à respecter une ligne de conduite. En droit européen, ce phénomène est reconnu : l’institution qui publie une ligne de conduite engage sa propre responsabilité si elle s’en écarte sans justification (TPICE, 7 nov. 2007, Allemagne c. Commission, T-374/04, pt. 111).

Conclusion : une source de droit secondaire, à manier avec rigueur

La circulaire est une source écrite secondaire du droit administratif, précieuse pour l’administration mais dépourvue de toute valeur contraignante à l’égard des administrés, sauf exception strictement encadrée. Elle ne saurait remplacer la loi, ni s’ériger en norme obligatoire pour les citoyens.

Reste qu’en pratique, par son apparente normativité, sa publication, et son utilisation par les administrations, elle peut parfois induire en erreur sur sa véritable nature juridique. L’enjeu est donc double : éviter l’inflation normative déguisée et garantir la sécurité juridique dans l’action administrative.